Le climat et l’érosion des montagnes
L’effet du climat sur l’érosion des montagnes est un vieux débat qui a repris du piquant lors de ces dernières années. Les géologues s’y intéressent particulièrement car de nouvelles théories proposent que le climat, à travers son effet sur l’érosion, modifie l’état des forces dans les chaînes de montagne et contrôle donc sa géométrie et sa déformation. Certains « pulses » tectoniques pourraient avoir été provoqués par des changements climatiques plutôt que par des variations de mouvement des plaques. Ces prédictions restent théoriques, notamment car le rapport entre climat et érosion n’est pas clairement établi : intuitivement, sous les climats humides, la pluie devrait générer plus d’érosion que sous les climats secs. A ceci près que les climats relativement secs comme les climats méditerranéens connaissent des pluies rares mais diluviennes, qui sont capable d’arracher et transporter une grande quantité de sédiment en quelques orages. Finalement, sur des échelles de temps qui intéressent les géologues (>>1000 ans), qui du climat humide ou sec est le plus efficace pour éroder une montagne ? Cette question est restée longtemps théorique car nous n’avions pas de méthode pour quantifier l’érosion sur le long terme.

Une telle méthode est née dans les années 90 en utilisant certains isotopes se formant au sein des roches de la surface de la terre, les isotopes « cosmogéniques » (ex. 10Be) . Leur vitesse de production est sensible à la vitesse d’érosion. Leur concentration dans les sables de rivière permet donc de calculer un taux d’érosion pluri-millénaire des sources de ce sable en amont. C’est ce que nous avons fait dans le cadre d’un projet ANR jc (ANDES) en collaboration avec nos collègues chiliens de l’Université du Chili et de l’Université Catholique du Nord. Nous avons récolté du sable au pied des Andes au Chili, le long d’un gradient climatique NS exceptionnel. Après une longue préparation au GET, la concentration en 10Be de ces sables a été mesurée au Cerege (instrument national ASTER).
Les taux d’érosion obtenus par cette méthode sont certes maximum là où le climat est méditerranéen, mais il dépend surtout de la pente moyenne de la montagne, et assez peu de la pluviométrie. Ce rôle dominant de la pente a déjà été observé ailleurs, mais pas le long d’un gradient climatique aussi fort. L’effet du climat sur la vitesse d’érosion n’est donc pas flagrante.
Par ailleurs, nous avons comparé ces taux d’érosion millénaires à l’érosion actuelle, estimée en mesurant les flux de sédiment en suspension dans les rivières. Les deux valeurs sont similaires au sud mais l’érosion ancienne est bien plus grande au nord, là où le climat est aride. Ces résultats confirment pour la première fois l’idée que plus un climat est sec, plus l’érosion d’une montagne se produit lors de pluies extrêmes et rares. Les mesures actuelles peuvent sous-estimer l’érosion moyenne millénaire d’un facteur 10 dans les régions arides. La démarche utilisée dans cette étude pourrait permettre de quantifier le risque d’érosion dans les chaînes.
Contacts: Sébastien Carretier et Vincent Regard