Comment lire nos archives sédimentaires…

L’histoire des continents est en partie enfouie dans les sédiments qui ont été arrachés par l’érosion et qui s’accumulent en couches successives dans les bassins sédimentaires, au pied des montagnes ou plus loin en mer. Chaque couche ou strate représente une époque du passé de la Terre. Leur étude permet de reconstruire l’état climatique de la Terre tel qu’il était il y a des dizaines de milliers ou des millions d’années, ou l’historique du soulèvement d’une chaîne de montagnes. Cependant, les interprétations reposent sur une hypothèse simple : les sédiments sont arrachés à leur source lors d’un événement climatique ou tectonique, transportés rapidement jusqu’à leur lieu d’enfouissement, et y restent jusqu’à ce qu’un géologue les  étudie et détermine leur âge (c’est-à-dire le moment où ils ont été arraché et enfoui dans le sédiment). Mais la réalité est un peu plus compliquée : si cette hypothèse est vraie pour beaucoup de grains qui composent les sédiments, d’autres grains ont eu un parcours chaotique au cours de leur transport, par les rivières notamment. Certains ont même pu résider des millions d’années à un endroit avant d’être à nouveau entrainés vers leur destination finale. Le résultat, c’est que dans une strate de sédiments provenant de l’érosion continentale, on peut trouver des grains de roches dont l’âge peut être très variable, et n’avoir aucun lien avec l’époque de dépôt de la strate dans laquelle on les trouve.

visualisation du déplacement des galets (points verts)

Ce problème est bien connu des sédimentologues et paleo-environnementalistes. On est face à un processus de « recyclage » : des grains de roche produits par un événement du passé sont remobilisés par un événement plus jeune. Ce recyclage de vieux grains peut « contaminer » une strate et rendre le message du passé illisible. Mais cette influence du recyclage de vieux grains dépend bien sûr de la proportion de ces grains par rapport à l’ensemble de la strate. Ils ne comptent peut-être pas pour  grand chose… mais dans les faits, c’est très difficile à évaluer. Les chercheurs ont abordé ce problème avec des outils géochimiques et minéralogiques qui permettent parfois d’identifier un recyclage important. Mais la difficulté majeure est d’ordre statistique : même si les grains erratiques  sont peu nombreux, s’ils ont des propriétés très différentes des autres (minéralogie, chimie, etc), ils peuvent potentiellement biaiser la moyenne de la strate. Et  c’est là qu’est le problème principal : les proxis paleo-environnementaux issus de ces sédiments sont une moyenne de grains. Cette moyenne est-elle significative de l’époque de dépôt, ou est-elle fortement biaisée par les vieux grains ?

Une équipe de chercheurs du GET, de la PUC au Chili et de l’Université de Berkeley a abordé ce problème de façon théorique par la modélisation numérique. Ces chercheurs ont analysé une propriété particulière des grains : leur temps de résidence dans la zone de bassin au pied des montagnes, ou piémont. En utilisant un modèle numérique d’évolution du relief, couplé au traçage de grains depuis leur zone d’arrachage jusqu’à leur sortie du piémont, ils montrent que certains grains peuvent rester « piégés » sur le piémont pendant des millions d’années avant d’être évacués. Résultat : quand on calcule la moyenne des temps de résidence des grains pour une strate, cette moyenne est 10 ou 100 fois supérieure au temps de résidence de la très grandes majorité des grains. Autrement dit, la moyenne ne donne pas une bonne idée du temps passé par les grains sur le piémont. Cet effet pourrait expliquer en partie les temps de résidence très longs mesurés pour des sédiments fins par des méthodes géochimiques. Ces résultats suggèrent également qu’une partie des variations de proxi paleo-environnementaux mesurées d’une strate à une autre pourrait être liée à ce biais de moyenne.

Sources :

S. Carretier, Guerit L., Harries R., Regard V., Bonnet S., 2020. The distribution of sediment residence times at the foot of mountains and its implications for proxies recorded in sedimentary basins. EPSL. 10.1016/j.epsl.2020.116448

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