Le climat des origines

La vie à la surface de la Terre a connu deux événements majeurs de biodiversification. Nous sommes actuellement plongés dans le second depuis environ 150 millions d’années. Le premier est beaucoup plus ancien. Il se situe au début de l’ère paléozoïque, dans une période comprise entre 540 et 450 millions d’années et regroupe l’explosion cambrienne de la vie et le grand événement de biodiversification de l’Ordovicien. Ces deux événements ne sont peut-être que deux manifestations d’un seul et même élan de la vie. C’est à cette époque qu’apparaissent toutes les lignées actuelles du vivant. Malheureusement, les conditions paléoenvironnementales et climatiques de l’émergence de la biodiversité moderne sont très mal connues, compte tenu du grand âge de l’événement. Une équipe du GET, en collaboration avec des chercheurs du LSCE, de l’IPGP, de l’Université d’Arizona et du laboratoire biogéosciences à Dijon, a reconstruit l’évolution climatique globale de cette époque clé de l’évolution de la surface terrestre.

Modélisations de la température de l’océan au Paléozoïque

Grâce à un financement de l’ANR (projet Accro-Earth), Elise Nardin, Yves Goddéris, Markus Aretz et leur collaborateurs ont utilisé un modèle du système Terre qui couple une description du cycle global du carbone à un modèle de circulation générale de l’atmosphère: le modèle GEOCLIM. Ils ont reconstruit le climat de la Terre du Cambrien (vers 500 millions d’années) jusqu’au début du Dévonien (vers 400 millions d’années). Leur étude prend en compte la lente augmentation de la quantité d’énergie reçue du soleil en réponse à l’évolution de notre étoile et la dérive progressive des continents. Ce dernier paramètre est fondamental. En effet, la période d’étude est caractérisée par la remontée progressive de trois grands continents vers l’équateur: la Sibéria, la Baltica et la Laurentia. Quittant progressivement la ceinture aride des zones tropicales, les trois continents pénètrent dans la zone équatoriale humide dès l’Ordovicien moyen (vers 470 millions d’années). L’augmentation des précipitations atmosphériques sur de grandes surfaces continentales provoquent un accroissement de la dissolution des roches continentales, processus qui soutire du CO2 à l’atmosphère pour le stocker sous forme de carbonates de calcium dans les zones récifales de l’époque. La dérive de la Sibéria, Baltica et Laurentia entraîne donc une baisse du niveau de CO2 atmosphérique et un refroidissement global dès 470 millions d’années. Ce refroidissement est encore renforcé par la présence de nombreuses roches volcaniques exposées à la surface des continents par une activité volcanique intense à l’époque. En effet, ces roches fraîches s’altèrent rapidement et consomment d’autant plus efficacement le CO2 de l’atmosphère. L’étude menée par Elise Nardin montre qu’entre 500 et 470 millions d’années, le CO2 diminue de 20 fois le niveau préindustriel à 10 fois (de 5600 ppmv à 2800 ppmv). La température moyenne des continents s’abaissent dans le même temps de 3°C, passant de 16°C à 13°C, suite à cette dérive vers l’équateur.

Cette phase de climat plus froide perdure tant que les trois continents baladeurs restent localisés à l’équateur, c’est à dire pendant 40 millions d’années, jusqu’au début du Silurien. Ce refroidissement global calculé par GEOCLIM est en excellent accord avec les données géologiques qui suggèrent une fenêtre temporelle froide de 470 à 425 millions d’années.

Ensuite, dès la fin du Silurien (vers 420 millions d’années), Laurentia et Baltica entrent en collision. Bien qu’ils ne quittent pas la zone équatoriale, la quantité de pluies que reçoivent ces continents diminue considérablement, simplement par effet de continentalité. L’amalgamation des continents autorise le développement de larges zones arides à l’intérieur, et la consommation de CO2 atmosphérique par dissolution des roches continentales diminuent fortement. En réponse, le CO2 atmosphérique croît à nouveau à des valeurs de 20 fois la quantité préindustrielle (5600 ppmv) et la température sur les continents augmente de près de 3°C.

Le mouvement des continents en direction de la zone équatoriale humide, puis leur amalgamation, explique donc la mise en place d’une fenêtre temporelle froide entre 470 et 430 millions d’années. De plus, les niveaux de CO2 calculés dans cette fenêtre (oscillant entre 2300 et 2800 ppmv) autorisent la mise en place d’une calotte glaciaire sur le Gondwana situé au pôle sud, compte tenu d’une insolation 4.5% plus faible à l’époque qu’aujourd’hui. Les indicateurs sédimentologiques et géochimiques montrent qu’une calotte de glace s’est effectivement mise en place, atteignant sont extension maximale vers  445 millions d’années, pile dans la fenêtre de froid calculée par les chercheurs du GET.

Cette étude permet donc de préciser les conditions paléoclimatiques qui ont présidée à l’évolution de la biodiversité au début du Paléozoïque. Elle démontre le rôle clé joué par la dérive des continents sur l’évolution géochimique et climatique de la Terre. Elle ouvre la porte à des collaborations plus étroites entre paléoclimatologues, géochimistes et paléontologues, afin de définir au mieux les modalités des liens qui existent entre l’évolution du climat et de la vie sur Terre.

Référence:

Nardin E., Goddéris Y., Donnadieu Y., Le Hir G., Blakey R.C., Pucéat E., Aretz M. (2011) Modeling the early Paleozoic long-term climatic trend. Geological Society of America Bulletin, 123, 1181-1192.

Contact: Yves Goddéris et Elise Nardin

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