La banquise arctique contrôle la libération du mercure

Une collaboration franco-américaine, qui implique notamment des chercheurs du CNRS, de l’IRD, de l’université Paul Sabatier et de l’université de Pau[1], vient de mettre en évidence un nouveau rôle de la banquise dans le cycle du mercure en Arctique. En bloquant le rayonnement du soleil, la banquise influencerait la dégradation et le transfert vers l’atmosphère des formes toxiques du mercure présent dans les eaux de surface de l’océan Arctique. Ces résultats suggèrent ainsi que le climat joue une fonction primordiale dans le cycle du mercure dont la libération vers l’atmosphère serait accentuée par la fonte de la banquise arctique. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature Geoscience (édition du mois de février).

Des guillemots sur une glace dérivante dans la région de Cape Lisburne, Alaska. Les œufs de cette espèce sont utilisés en tant que bio-indicateur du mercure dans les écosystèmes arctiques. © D. Roseneau, U.S. Fish and Wildlife Service.

Le mercure (Hg) est le seul métal lourd qui se trouve essentiellement sous forme gazeuse dans l’atmosphère. Depuis la révolution industrielle, les émissions de Hg d’origine anthropique, qui résultent de la combustion de matières fossiles, ont dépassé les émissions naturelles. Ces émissions anthropiques associées aux émissions naturelles (provenant principalement des océans et du dégazage des volcans) atteignent les zones polaires sous l’action des courants atmosphériques. Ainsi les retombées de la pollution atmosphérique globale contribuent à déposer du mercure dans les écosystèmes arctiques, éloignés des principales sources d’émissions anthropiques. Au niveau de l’atmosphère Arctique, ce mercure élémentaire s’oxyde en une forme qui se dépose facilement dans la cryosphère (neige, glace). Ensuite, lors de la fonte des glaces, celle-ci peut à son tour être remobilisée et transformée, via des processus physicochimiques et biologiques, en une toxine : le méthyle-mercure (CH3Hg). C’est cette forme toxique qui est ingérée par les organismes vivants. Elle s’accumule tout au long de la chaîne alimentaire, pouvant atteindre, en bout de chaîne, des concentrations un million de fois plus fortes que celles mesurées dans les eaux de surface. Depuis une vingtaine d’années, les programmes de suivi des concentrations en mercure et méthyle-mercure dans différentes régions de l’Arctique montrent des tendances géographiques et temporelles contrastées. Quelles sont les raisons de ces variations ? Quels processus régissent le cycle du mercure ?

Pour mieux comprendre ces phénomènes, les chercheurs se sont intéressés à des œufs de guillemots collectés dans plusieurs régions arctiques et subarctiques (golfe d’Alaska, mer de Béring, mer des Tchoukes). Situés en haut de la chaîne alimentaire, ces oiseaux marins intègrent la contamination en mercure présent dans cette chaîne : il s’agit donc d’excellentes espèces sentinelles pour mesurer l’impact de ce polluant dans les écosystèmes marins. Ainsi, la quantité de mercure dans leurs œufs est une représentation précise de celle de ce métal dans les écosystèmes arctiques à un instant donné. Plus précisément, les scientifiques ont mesuré la signature isotopique[2] de Hg dans ces œufs. Ils ont alors remarqué qu’elle présentait des variations géographiques significatives. Les variations de signatures isotopiques de la plupart des éléments chimiques (carbone, azote, etc) sont principalement fonction de leur différence en masse (12C, 13C). Étonnamment, les isotopes du mercure ne suivent pas la même « règle » : ses isotopes impairs (199Hg, 201Hg) se comportent différemment des isotopes pairs (198Hg, 200Hg, etc). Cette singularité est un phénomène extrêmement rare sur Terre[3]. Pour le mercure, cette anomalie est étroitement corrélée à la couverture de glace autour des sites de ponte des colonies de guillemots. Connaissant le rôle important joué par la lumière dans la photodégradation du méthyle-mercure, les chercheurs sont parvenus à établir les quantités de cette toxine pouvant être détruites par les rayons du soleil tant en présence qu’en l’absence de banquise. Ils ont ainsi établi que la présence de banquise empêchait à la fois la dégradation du méthyle-mercure par la lumière et qu’elle limitait les échanges de mercure entre l’océan Arctique et l’atmosphère.

Ces résultats suggèrent que le climat joue un rôle essentiel dans le cycle du mercure. La fonte accélérée de la banquise au cours des décennies à venir influencera ainsi de manière significative le cycle biogéochimique de ce polluant. L’analyse du mercure à l’échelle isotopique ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives de recherche pour mieux comprendre la dynamique et l’impact de ce polluant prioritaire dans l’environnement.

Ce travail a été initié dans le cadre de la 4è Année polaire internationale (2007-2009) et a bénéficié du soutien de l’ANR.

Notes:

[1] Laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (CNRS/IRD/Université Paul Sabatier Toulouse 3/Observatoire Midi-Pyrénées) et Institut des sciences analytiques et de physico-chimie pour l’environnement et les matériaux (CNRS/Université de Pau).

[2] Elle indique les proportions des différents isotopes d’un élément chimique particulier. Elle peut varier géographiquement et en fonction du temps (c’est le cas du carbone), et peut donc constituer un indicateur indirect de divers paramètres.

[3] Ce phénomène appelé fractionnement isotopique indépendant de la masse, a été découvert au 20ème siècle pour deux éléments légers dans l’environnement naturel : l’oxygène et le soufre.

Contacts : Jeroen Sonke et David Point

Sources :

Point D., Sonke J.E., Day R.D., Roseneau D.G., Hobson K.A., Vanderpol S.S., Moors A.J., Pugh R.S., Donard O.F.X., and Becker P. B. (2011) Methylmercury photodegradation influenced by sea ice cover in Arctic marine ecosystems. Nature Geoscience, 4, 188-194.

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