Le liquide ‘’pionnier’’ : un solvant universel initiant la formation des chenaux de migration magmatique dans le manteau
La migration des magmas dans le manteau est facilitée par la dissolution des pyroxènes. L’étude des minéraux inclus dans les chromites néoformées au cours de cette réaction nous apprend que le solvant des pyroxènes est un agent exotique riche en eau et alcalins, et non un magma de type basaltique comme supposé jusqu’à présent. Cet agent très corrosif participe aux stades initiaux de la mise en chenaux des magmas. Nous l’avons donc baptisé « liquide pionnier ». Les rubans de pyroxénites, abondants dans le manteau, vont, lors de leur dissolution par ce liquide, jouer le rôle de drains préférentiels des magmas, contrôler en partie leur trajectoire et influer sur leur composition chimique.
Comprendre ce qui gouverne la formation et la topologie du réseau de drainage magmatique dans l’asthénosphère est fondamental, en particulier pour modéliser les cycles géochimiques globaux et pour interpréter les données géophysiques. La façon dont les magmas migrent depuis la zone de fusion partielle jusqu’en surface reste pourtant très mystérieuse.
Les affleurements de péridotites mantellaires nous apprennent que le processus de dissolution-infiltration joue un rôle clé en favorisant la mise en chenaux des magmas et leur drainage efficace. Les pyroxènes, abondants dans les péridotites, sont déstabilisés lors d’une réaction libérant les éléments « magmatophiles » et s’accompagnant de la formation d’un résidu réfractaire constitué à plus de 99% d’olivine, roche appelée dunite.

Le paradigme actuel veut que le déséquilibre magma-pyroxènes soit attribuable à la dépendance en pression des équilibres de phases or les chenaux dunitiques sont omniprésents dans le manteau et certains magmas n’ont pas la capacité de dissoudre les pyroxènes.
Nous avons donc proposé qu’il existe un « solvant universel » commun à tous les contextes géodynamiques. Cette idée nous a été inspirée par l’étude des chromites dispersées dans les dunites. Leur croissance permet le piégeage de minéraux qui sont les témoins les plus directs du solvant. Celui-ci s’avère être un liquide riche en eau, silice et alcalins, très différent des magmas classiques. Sa formation peut résulter de plusieurs mécanismes allant de très faibles degrés de fusion partielle à la tête de diapirs mantellaires à l’hybridation entre un magma basaltique et un fluide hydrothermal.
Les chenaux dunitiques ont une forte perméabilité, si bien qu’une fois formés, les magmas successifs vont continuer à les emprunter. La topologie du réseau de drainage magmatique serait donc acquise dès les stades initiaux d’infiltration du solvant que nous avons baptisé « liquide pionnier ».
Dans un manteau homogène, l’orientation des chenaux magmatiques est gouvernée par le champ de contrainte du manteau convectif. Or le manteau est riche en rubans de pyroxénites dont la dissolution sous l’action du liquide pionnier est si efficace qu’elle est capable d’infléchir la trajectoire du magma ; de nombreux chenaux dunitiques s’avèrent, en effet, être d’anciens rubans de pyroxénites. Le résultat est un réseau de drainage fait d’un entrelacs de chenaux dont la distribution et l’orientation, héritée d’une longue histoire géologique, peut difficilement être prédite par les modèles.
Contact: Georges Ceuleneer (CNRS GET)