Le voyage du soufre dans les fluides hydrothermaux raconté par ses isotopes

Les transferts du soufre dans la nature sont en grande partie contrôlés par les fluides hydrothermaux qui le véhiculent à travers la croûte terrestre et le précipitent, en remontant à la surface ou en se refroidissant, souvent sous forme de soufre natif. Mais peut-il aider à reconstituer l’origine et l’évolution des fluides dans les profondeurs? Une équipe impliquant des chercheurs de trois laboratoires CNRS (GET, IPGP et CRPG) a pu déterminer la composition isotopique du soufre natif et celle d’autres espèces chimiques qui le forment à partir de fluides de haute température et pression. Cette signature isotopique s’avère très variable selon la composition et les chemins réactionnels du fluide. Ainsi le soufre natif – un composé pur et simple – pourrait aider à comprendre l’histoire des fluides géologiques pendant leur voyage dans la croûte, inaccessible à l’observation direct. Ces résultats sont publiés le 23 juillet 2020 dans la revue Geochimica et Cosmochimica Acta.

De tout le tableau périodique, le soufre est probablement l’élément qui possède la chimie la plus riche et la plus étonnante. Il forme une pléthore de molécules et d’ions (sulfure, sulfate, ions radicalaires, thiosulfate) de valence très variables (de -2 à +6) selon l’environnement où il se trouve[1]. Il possède aussi 4 isotopes stables (avec des masses 32, 33, 34 et 36) dont les rapports varient typiquement de quelques millièmes (i.e. pour mille, ‰), selon les réactions impliquant ces différentes espèces et la provenance géologique du soufre. Cependant, l’utilisation de ces rapports isotopiques que l’on sait maintenant mesurer avec une très grande précision (jusqu’à 0.01 ‰, grâce à des spectromètres de masse), est un véritable challenge en ce qui concerne le traçage des fluides hydrothermaux – ces véhicules géologiques du soufre par excellence – qui l’extraient des roches ou magmas, puis le transportent à travers la lithosphère et le précipitent proche de la surface, en se refroidissant. Durant ce processus, les différentes espèces chimiques de soufre se recombinent, réagissent entres elles, perdent leur identité et se retrouvent sous forme de minéraux sulfurés – produits finaux du fluide – dont le soufre natif est parmi les plus répandus. Ainsi la ‘vraie’ spéciation chimique du fluide est perdue, ce qui rend difficile de reconstituer son origine et évolution à partir de tels produits finaux observés dans la nature.



Schéma des transformations chimiques des différences formes de soufre et des fractionnements isotopiques associés dans un fluide hydrothermal qui se refroidit en remontant à la surface et dépose du soufre natif. Ce travail est un couplage élégant d’expériences hydrothermales en réacteur de haute température et pression avec des mesures très précises de toutes petites variations des rapports isotopiques à l’aide d’un spectromètre de masse. Les signatures isotopiques du soufre aident à reconstituer l’évolution d’un fluide hydrothermal et les sources du soufre et des métaux associés qu’il transporte. © G. Pokrovski & M. Kokh

Pour pallier à ce manque, les chercheurs des 3 laboratoires du CNRS mentionnés plus haut, réunis autour d’un projet ANR interdisciplinaire[2], ont mis en œuvre une méthode novatrice permettant de reconstituer en laboratoire des fluides hydrothermaux riches en soufre à haute température (jusqu’à 450°C) et pression (jusqu’à 1000 atmosphères terrestres) correspondant à ceux qui circulent dans la croûte terrestre à des profondeurs de quelques km. Pour ce faire, les chercheurs ont créé des solutions aqueuses modèles contenant du soufre et les ont portées à haute température et pression dans un autoclave hydrothermal, une sorte de cocotte-minute très élaboré, qui permet une extraction contrôlée d’une portion du fluide contenant les différentes espèces chimiques de soufre. Ces dernières ont été piégées et séparées l’une de l’autre – une véritable cuisine analytique, afin de les analyser pour leur composition isotopique grâce à un spectromètre de masse très précise, unique en France.

Les chercheurs ont réussi à mesurer, pour la 1ère fois, les signatures isotopiques entre les espèces originales et le soufre natif – leur produit final (Figure). Ces signatures (exprimées en ratio 34S/32S par rapport à celui de H2S, ‰) s’avèrent très variables selon l’espèce d’origine et le chemin réactionnel exact menant à la formation du soufre natif. Ces résultats pourront permettre le traçage, en utilisant ce composé de soufre simple et ubiquiste, de la composition et de l’évolution du fluide pendant son voyage vers la surface, inaccessible à l’observation direct.

Contact : Gleb Pokrovski


[1] Pokrovski, G.S. & Dubrovinsky, L.S. The S3 ion is stable in geological fluids at elevated temperatures and pressures. Science 331, 1052-1054 (2011); Jacquemet N. et al. In situ Raman spectroscopy identification of the S3 ion in S-rich hydrothermal fluids from synthetic fluid inclusions. Amer. Miner. 99, 1109-1118 (2014); Pokrovski G.S. & Dubessy J. Stability and abundance of the trisulfur radical ion S3 in hydrothermal fluids. Earth Planet. Sci. Lett. 411, 298-309 (2015).

[2] Projet RadicalS ANR-16-CE31-0017.


Géosciences Environnement Toulouse (GET), Observatoire Midi-Pyrénées, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Université de Toulouse, Toulouse; Université de Paris, Institut de Physique du Globe de Paris, CNRS, Paris, France; Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG), Vandœuvre-lès-Nancy.

Sources :

Kokh M.A., Assayag N., Mounic S., Cartigny P., Gurenko A., Pokrovski G.S. (2020) Multiple sulfur isotope fractionation in hydrothermal systems in the presence of sulfur radical ions and molecular sulfur. Geochim. Cosmochim. Acta, 285, 100-128, doi: 10.1016/j.gca.2020.06.016.

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