« Vivre avec le risque » de pollution à Abidjan

Les expositions professionnelles représentent l’un des principaux facteurs de risque de morbidité liés à la pollution de l’air, en particulier dans les grandes capitales du continent africain. A Abidjan (Côte d’Ivoire) « vivre avec » la pollution atmosphérique est un enjeu majeur à cheval entre la vie quotidienne et le travail. Dans cet article, nous étudions trois sites à Abidjan représentant différentes sources de pollution majeures: la circulation routière dans le carrefour d’Adjamé-Liberté, les feux domestiques pour la cuisson sur le marché de Yopougon et les feux de déchets sur la décharge d’Akouédo. Le but est de comprendre les expériences sociales des personnes exposées quotidiennement à cette pollution chronique ainsi que la répartition des risques pour la santé selon les différences d’exposition et de statuts sociaux des travailleurs.

Nous avons combiné pour cela l’étude des émissions des sources polluantes, l’évaluation sociologique (par entretiens semi-directifs) du rapport au risques des travailleurs et le développement d’un indicateur semi-quantitatif de « culture du risque » de la pollution atmosphérique (ICR). Trois facteurs permettent de comprendre le risque conçu à l’interface des émissions de polluants, des formes différentes d’expositions professionnelles et de la culture du risque de pollution:

  • 1- la durée d’exposition : les variations des valeurs de l’ICR observées pour les différentes catégories de femmes « fumeuses » étaient corrélées avec la durée d’exposition à la source de pollution. L’ICR le plus bas était lié à la plus longue durée d’exposition.
  • 2- la distance par rapport à la source de pollution : sur la décharge, les travailleurs les plus proches de la source avaient les ICR les plus faibles. Ainsi, l’exposition directe à la pollution de l’air ne prédisait pas la perception sociale du risque vécu, dans ce cas simplement considéré comme une caractéristique du travail.
  • 3- la détermination sociale de la santé. Les stratégies d’adaptation pour résister aux effets de la pollution sur la santé sont fondées sur des relations de domination au sein des groupes professionnels : les travailleurs détenant les statuts professionnels les plus élevés dans leur secteur transfèrent le risque aux travailleurs au plus bas de la hiérarchie en se retirant des tâches les plus exposées. Les rapports de pouvoir dans lesquels ils sont pris, sont donc un facteur de risque pour les plus faibles.

« Vivre avec le risque » de pollution à Abidjan se présente finalement comme la combinaison des apprentissages liés à l’expérience tangible de la pollution faite à travers les sens (cognitions et modes de protection), des médiations techniques (sources d’émission, objets et équipements de travail) qui orchestrent cette expérience, ainsi que les rapports sociaux existants (rapports de pouvoir). Ces résultats suggèrent d’aller plus loin que la conception d’une culture du risque comme capacité à penser le futur pour revenir à ce qui la rend possible et la caractérise dans le présent et le court terme. En outre ces résultats invitent à ne plus concevoir la culture du risque comme un écart entre des données qui seraient par nature objectives (mesures environnementales) et des données subjectives (sociales) mais comme une partie intégrante du calcul des risques sanitaires.

Sources :

Becerra S., Belland M., Bonnassieux A., Liousse C., 2020. “Living with” air pollution in Abidjan (Cote d'Ivoire): a study of risk culture and silent suffering. Health, Risk & Society. Vol 22. DOI: 10.1080/13698575.2020.1721443.

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