Mes activités de recherche sont consacrées à l’étude des mécanismes d’altération chimique des roches et des sols et de transport des éléments (majeurs et traces) au sein de la zone critique (sol, végétation, eaux continentales, atmosphère). J’utilise une approche pluridisciplinaire (géochimie des éléments et des isotopes, minéralogie, thermodynamique des solutions, hydrologie, écologie quantitative) pour comprendre le fonctionnement biogéochimique des écosystèmes (bassins versants) qu’ils soient peu ou fortement impactés par les activités humaines. Parallèlement à cette thématique générale un travail spécifique a été mené sur le rôle des colloïdes dans le transport des éléments dans les eaux continentales, l’utilisation de traceurs chimiques (Terres Rares) et isotopiques (Cu, Zn) et le rôle de la végétation dans le transport des éléments au sein de la zone critique. Ces études, qui reposent sur du travail de terrain et sur de l’analyse en laboratoire, se sont avérées indispensables à la compréhension des mécanismes d’échange au sein de la zone critique mais également à l’établissement de lois paramétriques de l’altération utilisables dans les modèles numériques simulant l’altération des roches continentales (ex : Goddéris et al., 2006).
Ma carrière pourrait se diviser en 3 périodes principales : la première correspond au travail effectué sur les milieux tropicaux (Brésil, Cameroun, Venezuela, Zambie…) pour l’essentiel en partenariat avec les collègues IRD (dont SNO Hybam et BVET), les partenaires du Sud (Universités de Brasilia et Manaus, Université Central du Venezuela, Université de Yaoundé) et aussi le Caltech (USA) ; ces travaux visaient à mieux comprendre les processus d’altération et de transport des éléments en milieu tropical et s’inscrivaient en fait dans le prolongement de mon travail de thèse. La deuxième période, thématiquement très proche de la première, concerne les milieux boréaux avec de forts partenariats français (laboratoires LHyGeS et BIOEMCO) et russes (Université d’Etat de Moscou, Universités d’Etat et Polytechnique de Tomsk, Institut Sukachev de la Forêt de Krasnoiarsk) établis notamment dans le cadre du GDRI Car-Wet-Sib. La dernière période, actuelle, initiée il y a 6 à 7 ans est consacrée à l’étude du transfert d’éléments dans des milieux fortement impactés par des activités humaines, et plus particulièrement minières. Elle a induit de nouvelles collaborations en France [laboratoires : LCA (Ensiacet, Toulouse), HSM et G-eau (Montpellier), GRESE (Limoges), Université de Huelva et Université Polytechnique de Carthagène (Espagne), Institut Supérieur Technique de Lisbonne (Portugal) et plus récemment en Suisse (Universités de Genève et Berne)].
Cycle des éléments (altération chimique et érosion physique, transport des éléments) en milieux naturels (tropical / boréal) ou fortement impactés par des activités minières
Ces travaux initiés dans le cadre de ma thèse (Viers, 1998) au sein des milieux tropicaux humides d’Afrique se sont poursuivis dans les Pyrénées (e.g., Oliva et al., 2003), sur le bassin amazonien (ex : Moquet et al., 2011, 2014, 2016) et dans certaines régions boréales de Russie (ex : Vasyukova et al., 2010 ; Viers et al., 2013 ; Ilina et al., 2014). Ils avaient pour objectifs de quantifier l’érosion chimique (altération) et l’érosion physique, d’estimer les proportions relatives dans le transport de matière (transports dissous, colloïdal et particulaire), d’estimer le flux de CO2 consommé par dissolution des roches silicatées dans ces zones géographiques mais aussi de définir quels étaient les paramètres (climat, lithologie, etc…) qui contrôlaient l’altération à l’échelle du bassin versant. J’illustrerai ceci par deux résultats majeurs concernant le milieu tropical et le milieu boréal : 1) Le travail de thèse de Jean-Sébastien Moquet a montré que l’altération chimique des roches silicatées au sein des zones humides de la plaine amazonienne assurait une part significative de la consommation de CO2 au sein du bassin amazonien (30-40%) (Moquet et al., 2011 ; 2016) ; 2) Un de nos travaux importants au sein du milieu boréal repose sur l’étude de petits bassins versants localisés du nord (permafrost continu) au sud (absence de permafrost ou permafrost sporadique); cette étude permet de substituer le temps par l’espace et de tenter de prévoir les évolutions futures pour ces milieux en contexte de changement climatique. Il en ressort que l’augmentation (en surface et épaisseur) de la couche active (partie superficielle du permafrost dégelé au printemps-été se traduira par une augmentation d’un facteur >2 des flux de matières dissoutes des sols vers les rivières et in fine vers l’Océan Arctique (ex : Pokrovsky et al., 2012 ; Viers et al., 2015 ; Prokushkin et al., 2018). Cet accroissement de ces flux est lié de façon prépondérante au changement de biodiversité et de productivité primaire dans ces régions.
Depuis 6-7 ans, mon travail concerne plus spécifiquement les milieux impactés par des activités humaines, et en particulier les anciennes activités minières. Ce travail a été initié dans le cadre des projets EC2CO/INSU EFIMIN (2016-2017 ; resp. : J. Viers) et SUDOE Soil-Take-Care (2016-2019 ; resp. : José Darrozes et J. Viers) sur les zones minières de Huelva et Carthagène (Espagne). Un résultat récent concerne le suivi isotopique des eaux de la rivière Meca en crue, cette rivière drainant l’une des plus importantes mines abandonnées (Tharsis). En effet, nous avons pu avec ces données estimer la contribution respective des différents réservoirs (eaux des lacs de mine et galeries, lessivage des stériles et des sols du bassin versant) à l’exutoire du bassin versant (Viers et al., 2018 ; Masbou et al., 2020).
Parallèlement à cette thématique générale sur le cycle des éléments en milieu naturel ou impacté par les activités humaines j’ai travaillé plus spécifiquement sur certains axes de recherche :
Transport des éléments ; rôle de la matière colloïdale
Un des axes essentiels de mon travail a aussi été de quantifier les flux d’éléments transportés sous forme dissoute (<0.22 µm), colloïdale (1-3 nm < < 0,22 µm) et particulaire (> 0.22 µm) par les rivières. A travers diverses études nous avons pu montrer que la matière colloïdale organique jouait un rôle majeur dans le transport des éléments en milieu tropical humide même pour des éléments réputés immobiles (ex : thorium) et utilisés comme élément référence dans l’estimation de bilans géochimiques au sein des profils de sols (ex : Dupré et al., 1999 ; Tosiani et al., 2004). Plus récemment ces travaux se sont poursuivis au sein du milieu boréal (Pokrovsky et al., 2010 ; Vasyukova et al., 2010 ; Ilina et al., 2013a, 2013b, 2016) ou apparaît le rôle combiné et complexe des colloïdes organiques et minéraux (via notamment les oxyhydroxides de fer) jouant un rôle majeur sur le transfert des éléments traces métalliques.
Utilisation de traceurs (chimiques et isotopiques)
La compréhension des mécanismes d’altération ou de transport des éléments implique l’utilisation et le développement de traceurs, chimiques ou isotopiques. Au début de ma carrière je me suis impliqué sur l’utilisation des Terres Rares (TRs), des isotopes du strontium et du néodyme (Braun et al., 1998 ; Viers et al., 2000 ; Viers and Wasserburg, 2004 ; Barroux et al., 2006 ; Viers et al., 2008) puis à partir de 2002 sur l’utilisation des nouveaux isotopes stables (Zn et Cu) que j’ai développé au sein de mon laboratoire. Ces travaux ont été conduits sur des sites naturels (Cameroun, Sibérie Centrale) ou fortement impactés par les activités humaines. Par exemple, nous avons montré pour la première fois que les isotopes du Zn pouvaient être fractionnés (Viers et al., 2007, 2015) par des processus pédogénétiques et par la végétation et qu’ils pouvaient donc être des traceurs pertinents du cycle naturel de ce métal à l’interface sol-plante. Les isotopes du Zn nous ont permis aussi de tracer (et quantifier) une origine anthropique des métaux au sein de milieux fortement anthropisés comme ce fût le cas sur le site industriel de Viviez (Aveyron, France) (ex : Sivry et al., 2008). La compréhension du fractionnement de ces isotopes nécessite également de l’expérimentation en laboratoire afin de travailler sur des systèmes plus « simples » et, ainsi, mieux comprendre les processus en jeu ; ce fût par exemple l’objet de la thèse d’Aude Coutaud sur le fractionnement des isotopes par les bactéries et diatomées (Coutaud et al., 2014 ; 2018) ou encore le travaux conduits avec Oleg Pokrovsky sur le fractionnement par les processus de sorption en surface des minéraux (argiles, oxyhydroxides métalliques) (Pokrovsky et al., 2005, 2008).
Rôle spécifique de la végétation
Je ne voudrai pas terminer cette partie sans parler d’un axe de recherche qui m’a suivi de façon quasi permanente depuis le début de ma carrière. Il s’agit du rôle majeur que joue la végétation sur le cycle des éléments. Ces travaux, initiés en Amazonie brésilienne (Viers et al., 2005), se sont poursuivis en Sibérie (e.g., Viers et al., 2013). Ils montrent le rôle de la végétation à une échelle de temps très courte (ex : effet des litières) ou à une échelle de temps plus longue (ex : stocks d’élément par le bois pour des forêts en croissance). Ces études sont indispensables à la compréhension du fonctionnement biogéochimique des bassins versants et à l’estimation rigoureuse des flux de matière entre les différents réservoirs. Un autre aspect de ces études repose sur la collaboration avec Jerome Chave du laboratoire EDB (Toulouse). En effet, dans le cadre du labex CEBA nous avons travaillé à considérer l’effet de la composition chimique des sols comme un paramètre pouvant influer sur la biodiversité (Tymen et al., 2016 ; Zinger et al., 2019).