Les petits cailloux vont plus vite que les gros
Deux géologues du GET et leurs collègues du CEREGE et de l’Université du Chili expliquent comment un isotope rare pourrait aider à calculer la vitesse de transport de galets par une rivière. 10 ans après, avec deux collègues, français et chilien, ils passent de la théorie à la pratique dans les Andes ! Le récit d’un résultat aux retombées pas si anecdotiques.
Les petits cailloux vont plus vite que les gros. Derrière cette phrase d’apparence anodine se cachent des résultats géologiques expérimentaux et surtout une méthodologie innovante : le recours à une peinture virtuelle pour calculer la durée du transport de galets entre leur source et l’aval de la rivière qui les a arrachées. D’ordinaire, lorsqu’il s’agit d’estimer la vitesse de déplacement des cailloux, galets et autres fragments rocheux, les hydrologues peignent avec une peinture bien réelle des galets, ou y insèrent des émetteurs magnétiques, repèrent leur position dans le lit d’une rivière puis reviennent des semaines après : de la nouvelle position des pierres étiquetées, ils extrapolent la vitesse de transport en mesurant la distance parcourue. Mais si cette technique est valable pour des échelles de temps de quelques années, elle ne l’est plus pour des échelles plus grandes.

Il y a près de 10 ans, Vincent Regard, géologue à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, et S. Carretier à l’IRD, tous deux chercheurs au GET, avaient imaginé que l’on pourrait faire appel au 10Be (lire « béryllium 10 ») pour estimer ces longs transports. Cet isotope rare du béryllium se forme dans les objets géologiques dès lors qu’ils sont exposés au rayonnement cosmique.
Comme le 10Be s’accumule dans les galets pendant leur transport sur le lit de la rivière, on peut déduire la période à laquelle un galet a été exposée à la surface en soustrayant la quantité de 10Be de la roche dont il est issu à celle du galet. En cela, le 10Be jouerait le rôle de la peinture traditionnellement utilisée. C’est ce que les deux chercheurs avaient proposé dans un article publié en 2011 dans J. Geophys. Res. Earth Surf. Et aujourd’hui, dans le cadre du LMI COPEDIM, grâce à notre partenaire chilien, Marcelo Farias, de l’Université du Chili, et en collaboration avec Laëtitia Leanni, de l’UMR CEREGE, à Aix-en-Provence, pour les analyses, nous avons pu mettre en pratique cette théorie. Sur le bord de l’Altiplano andin, Marcelo Farias a identifié une formation géologique conforme pour la tester : une rivière s’écoulant dans un canyon de 56 km de long à partir d’une source bien localisée.

Les chercheurs ont ainsi montré que la vitesse de transport ne respectait pas exactement le comportement diffusif attendu et, notamment, que certains galets pouvaient mettre bien plus de temps que prévu pour descendre. Conséquences ? Cela signifie que des évènements géologiques anciens, comme des avalanches ou déplacement de masses, peuvent avoir des impacts sur la géographie des milliers d’années plus tard. Et, incidemment, les auteurs ont prouvé que les petits cailloux se déplaçaient bien plus vite que les gros, validant en cela la connaissance populaire sur de grandes échelles de temps.
Rédaction: Julie Coquart pour IRD Le Mag‘
Le laboratoire mixte international (LMI) se focalise sur l’évolution géomorphologique des surfaces d’érosion (appelées pédiments) dans les chaînes de montagnes (les Andes) et la relation possible entre le développement de ces surfaces et la concentration de certains métaux tels que le cuivre.