L’altération chimique des roches répond au réchauffement climatique

La dissolution des minéraux contenus dans les roches continentales et les sols est un processus qui capture du CO2 atmosphérique. Concentré dans les sols par la respiration des racines et la dégradation de la matière organique, le CO2 d’origine atmosphérique se dissout dans les eaux qui drainent les profils de sol pour former de l’acide carbonique. Cet acide dissout à la fois les roches carbonatées (calcaires, dolomie, …) et silicatées (granites, basaltes, …). Après la réaction de dissolution, le CO2 atmosphérique est piégé et emmené par les rivières vers l’océan sous la forme d’ions bicarbonates. Une fois parvenu à l’océan, ce carbone dissous est stocké dans la masse d’eau pendant plusieurs milliers d’années avant d’être finalement partiellement rendu à l’atmosphère ou stocké dans les sédiments marins lors de la formation de carbonates de calcium.

Ce processus soutire approximativement 0,3 milliards de tonnes de CO2 à l’atmosphère chaque année, stockées dans les océans pour plusieurs milliers d’années. Bien que nettement inférieur à la production de CO2 liée aux activités humaines (environ 8 milliards de tonnes/an), ce flux est du même ordre de grandeur que le flux net d’échange entre l’atmosphère et la biosphère continentale dans les conditions préindustrielles (0.4 milliards de tonnes). Malgré cela, l’altération chimique des continents n’a jamais été prise en compte dans les études de l’évolution future du cycle du carbone. La raison principale est que ce flux, reconnu comme l’un des puits majeurs de carbone à l’échelle des temps géologiques, a longtemps été considéré comme inerte à l’échelle séculaire. L’érosion chimique est supposée être un processus lent, qui nécessite le cumul de millions d’années pour jouer un quelconque rôle dans le cycle du carbone.

Les chercheurs du GET, en collaboration avec leurs collègues du LSCE et du Geophysical Institute de l’Université de Bergen en Norvège, ont remis en cause cette non réactivité supposée face aux changements climatiques d’origine anthropique. A l’aide d’un modèle numérique simulant simultanément la productivité de la biosphère, le cycle hydrologique dans les sols et la dissolution chimique des minéraux (le modèle B-WITCH), ils ont montré que la consommation de CO2 atmosphérique par altération chimique pourrait augmenter de 50 % à l’horizon 2100, rendant ce flux aussi réactif aux changements climatiques que la biosphère continentale. L’étude a été réalisée sur le bassin de la Mackenzie afin d’éliminer au maximum les impacts liés aux changements d’utilisation des sols et d’isoler le rôle du climat sur l’altération. La méthode utilisée couple un modèle de circulation générale de l’atmosphère pour estimer l’évolution climatique à l’horizon 2100 pour un doublement de CO2 atmosphérique. Ce climat calculé est alors injecté dans un modèle numérique simulant la dynamique de la biosphère et l’hydrologie des sols, qui est utilisé pour calculer la dissolution des minéraux.

Soumis à un réchauffement de 1.4 à 3°C et une augmentation des précipitations de 7 % en moyenne lorsque le CO2 atmosphérique passe de 355 ppmv (fin du vingtième siècle) à 560 ppmv (horizon 2100), le bassin de la Mackenzie, l’un des plus grands bassins arctiques, répond donc en capturant 50% de CO2 atmosphérique en plus par l’altération chimique. 40 % de cette augmentation calculée est directement liée au changement climatique (l’augmentation des températures et des pluies favorisent la dissolution des minéraux), les 60 % restants étant dûs à l’impact direct de l’accroissement du CO2 sur l’activité de la végétation. Ce dernier fertilise la végétation et augmente la quantité de CO2 respirée dans les sols. Mais l’augmentation du CO2 atmosphérique réduit également l’évapotranspiration, ce qui favorise encore plus la circulation de l’eau dans les sols. Cette circulation accrue accélère l’altération chimique.

Ce résultat s’additionne à des mesures faites précédemment par des chercheurs américains sur un bassin très anthropisé (le Mississippi) et qui suggérait une réactivité similaire, mais d’origine encore indéterminée.

Les résultats obtenus par l’équipe toulousaine et ses collaborateurs impliquent qu’il devient indispensable d’intégrer cette dynamique inattendue du puits de CO2 atmosphérique par l’altération chimique des continents dans notre description de l’évolution future du cycle du carbone et du climat de la Terre. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature Climate Change.

Référence :

E. Beaulieu, Y. Goddéris, Y. Donnadieu, D. Labat, C. Roelandt, 2012. High sensitivity of the continental-weathering carbon dioxide sink to future climate change. Nature Climate Change, doi:10.1038/NCLIMATE1419

Contacts :  Yves Godderis et David Labat

Plus d'actualités

Ce que la pluralité ontologique fait aux scientifiques

Découvrez le nouvel article auquel Laure Laffont a participé dans L’université face au désastre écologique, Ecologie & Politique, N°67. Cet écrit illustre diverses manières qu’ont les chercheurs de s’approprier les […]

Éruption volcanique : un nouveau chronomètre basé sur la diffusion de Titane dans le quartz

Le processus de déclenchement des éruptions volcaniques reste encore imprévisible. Afin d’évaluer le temps de résidence du magma dans la chambre et ce jusqu’à l’éruption, l’équipe international dont des scientifiques […]

Les tectites de Côte d’Ivoire, un trésor scientifique en territoire aurifère

Les tectites sont des verres d’impact qui sont éjectés à plusieurs centaines, voire milliers de kilomètres lors d’un impact météoritique. Ces objets sont rares et recherchés par les scientifiques qui […]

Rechercher