Empreinte de l’orpaillage dans les eaux guyanaises

Une étude menée dans un bassin guyanais où sont installées des mines d’or artisanales montre la présence de mercure liée à ces activités dans l’environnement, ainsi que l’imprégnation des poissons piscivores et des communautés natives qui s’en nourrissent. Des résultats importants et novateurs pour mener des actions de prévention ciblées pour ces populations à risque et, appeler à l’adoption de techniques d’orpaillage sans recours au mercure.

Le mercure est un métal toxique qui peut être rejeté dans l’environnement via des processus naturels, tels que le volcanisme ou l’érosion des sols, mais aussi par les activités humaines comme l’orpaillage. Les mines artisanales et à petite échelle (ASGM, pour artisanal and small-scale gold mining ) sont celles qui contribuent le plus aux rejets de mercure : 775 tonnes ont été relâchées dans l’atmosphère en 2015 1 et 800 tonnes aboutissent dans des réserves d’eau douce 2 chaque année. Une équipe pluri-disciplinaire, dirigée par Laurence Maurice, spécialiste en géochimie environnementale à l’IRD, s’est justement intéressée à l’impact de ce type de mines d’or dans le bassin du fleuve Oyapock, située en Guyane française, le long de la frontière brésilienne, et alimentée par la rivière Camopi 3 . Ces cours d’eau drainent une surface de 24 630 km2.
Des études précédentes menées en Bolivie par la même équipe n’avaient pas réussi à détecter un apport de mercure lié directement à l’exploitation d’or alluvial car les bassins hydrographiques y sont trop grands et les dynamiques hydrologiques et sédimentaires trop puissantes. La taille restreinte du bassin de l’Oyapock, ainsi que la dynamique hydro-sédimentaire des petites criques ont permis de lever ces obstacles. « Le bassin de l’Oyapock présente surtout l’intérêt de posséder des régions orpaillées et d’autres qui ne le sont pas : c’était une caractéristique essentielle pour pouvoir évaluer les différences d’imprégnation mercurielle dans l’environnement aquatique entre les zones exploitées et celles qui ne sont pas touchées par ces activités  », explique Laurence Maurice.

La signature des isotopes

Pour leur étude, les scientifiques se sont en effet appuyés sur le fait que le mercure possède naturellement plusieurs isotopes stables 4 : suivant sa provenance, le mercure, dans un milieu donné, n’a pas la même signature – ou fractionnement isotopique -, c’est-à-dire pas les mêmes proportions entre ses différents isotopes stables. Ainsi, dans les sédiments, le mercure naturel peut être tracé par certaines valeurs de fractionnements et le mercure liquide, utilisé par les orpailleurs pour amalgamer les paillettes d’or, par des fractionnements différents. Entre mars 2010 et octobre 2013, les scientifiques ont effectué 46 prélèvements dans les sédiments, les sols et les eaux de surface. Ils ont aussi échantillonné 317 poissons et 111 cheveux humains parmi les populations Wayãpis et Teko, des communautés autochtones établies sur différents sites du bassin de l’Oyapock.

Les résultats ont mis en évidence un apparent paradoxe entre la distribution de mercure dans l’environnement et les impacts sanitaires : les zones d’orpaillage et où les poissons sont les plus concentrés en mercure ne sont pas celles où l’imprégnation humaine est la plus élevée.  « Il y a cependant une explication. À Trois Sauts, un village éloigné des sites d’exploitation de l’or, les populations natives sont contaminées du fait de leur régime alimentaire : isolées, elles ont un mode de vie très traditionnel, basé sur la chasse, la culture du manioc et la pêche. Cette communauté consomme donc régulièrement des poissons dont certains présentent de fortes concentrations en mercure. Aux alentours de Camopi, un village en amont duquel se concentrent des sites d’orpaillage, la situation est différente : il y a une épicerie et il suffit de traverser le fleuve pour atteindre la berge brésilienne, où sont regroupés de nombreux petits commerces. Les habitants ici ont donc accès à d’autres aliments, notamment industriels, ce qui réduit leur consommation de poissons », commente Laurence Maurice.

Soutenir la prévention

Les retombées de cette étude sont importantes : d’une part, parce que les chercheurs sont parvenus à quantifier l’impact de l’orpaillage sur la contamination au mercure de l’environnement aquatique (jusqu’à 70 % dans les sédiments de criques orpaillées), et d’autre part, parce qu’ils permettent de renforcer la prévention visant les populations autochtones locales. Lors de réunions de restitution, des affiches ont été distribuées en coordination avec l’Agence régionale de santé en Guyane et le Parc amazonien de Guyane, expliquant quelles espèces de poissons étaient les plus contaminées par le mercure (celles en bout de chaîne, dites piscivores) et dont il fallait éviter la consommation, notamment pendant la grossesse. « Les effets d’une exposition in utero au mercure sont irréversibles et vont d’un retard du développement mental et moteur à des malformations graves, des problèmes de vision mais aussi des atteintes du système immunitaire  », décrit la spécialiste. À partir de cette année, ce travail sera prolongé par une étude sur l’exploitation durable de l’or, cette fois-ci à l’échelle des trois Guyanes (la Guyane française, le Guyana et le Suriname).

Notes :

1. Streets et al., 2018.Atmospheric Environment.

2. Obrist, D., Kirk, J.L., Zhang, L., Sunderland, E.M., Jiskra, M., Selin, N.E.,  A review of global environmental mercury processes in response to human and natural perturbations: changes of emissions, climate, and land use. Ambio , mars 2018, 47, 116e140.

3. Sylvaine Goix, Laurence Maurice, Laure Laffont, Raphaelle Rinaldo, Christelle Lagane, Jerome Chmeleff, Johanna Menges, Lars-Eric Heimbürger, Regine Maury-Brachet, Jeroen E. Sonke, Quantifying the impacts of artisanal gold mining on a tropical river system using mercury isotopes. Chemosphere 219 (2019) 684e694 

4. Isotopes  : Atomes qui possèdent le même nombre d’électrons mais un nombre différent de neutrons. Les isotopes d’un même élément ont des propriétés chimiques identiquesmais des propriétés physiques différentes.

Contact:

Laurence Maurice (GET)

Crédit photo: C. Furger

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service communication IRD

Date : 29/01/2019

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